Il les aime ses filles… au point de ne pas supporter les voir jeter avec désinvolture dans une banale casserole d’eau bouillante salée… Sylvain Erhardt cultive les asperges vertes avec le cœur, et ce n’est pas un hasard si elles occupent une place de choix sur les cartes printanières des plus grands chefs. Sa passion pour la gastronomie a façonné son tour de main, donnant aux asperges de Roques-Hautes ce goût inégalable. Rencontre avec cet artisan de la terre atypique qui aurait pu être cuisinier dans une autre vie…
Nous sommes très curieux de savoir comment a commencé la belle histoire du Domaine de Roques-Hautes… Comment est née cette envie de cultiver des asperges ?
Enfant, mon envie était de devenir cuisinier. C’est mon grand-père agriculteur qui m’a communiqué son virus… Après l’obtention de mon Brevet de Technicien Agricole, j’ai travaillé pendant 5 ans en tant que chef de culture. Très vite je me suis mis à mon compte en 1995 en reprenant l’exploitation d’arbres fruitiers de mon oncle. J’ai commencé à arracher quelques pommiers et poiriers pour monter des abris plastique et mettre en place deux cultures en rotation : des melons charentais de mai à août et des salades de novembre à avril pour la grande distribution. Suite à des méventes successives et face à la concurrence des pays étrangers, je comprends vite que je dois me spécialiser sur un produit. La complexité des cahiers des charges, pour travailler avec les grandes surfaces, m’incite également à travailler autrement… Mon objectif, arriver à travailler avec le consommateur final et faire sauter les intermédiaires.
Pourquoi l’asperge verte ? Il a fallu choisir LE produit ! C’est le premier légume de la saison attendu avec impatience… C’est un légume luxueux qui marque le début du printemps. En 2009, j’ai fait des essais sur une petite surface (2500 m2) pour savoir comment se comporte l’asperge verte dans mes sols, un produit hyper technique… En 2010 J’ai effectué mes premières ventes locales sur le marché de Sénas. Cette belle aventure dure depuis 6 ans… Aujourd’hui le Domaine de Roques-Hautes exploite 12 hectares, dont 5 hectares en Asperges Vertes et 7 hectares en céréales.
On déguste aujourd’hui vos asperges à l’Elysée. Comment devient-on producteur d’asperges « star » des grands chefs étoilés ? Lequel d’entre eux a été le premier à vous faire confiance ?
Pour la petite histoire, je ne fournis pas le palais présidentiel. J’ai eu le plaisir de rencontrer Guillaume Gomez dernièrement au salon Food’in Sud à Marseille. Je lui ai envoyé un colis d’asperges pour le plaisir. La photo prise dans les cuisines de l’Elysée est un joli clin d’œil ! J’ai toujours eu l’envie de travailler dans le monde de la gastronomie. Pour valoriser mon travail, il fallait qu’il puisse être mis en évidence par des grands chefs. Novice en la matière, j’ai acheté les guides Michelin et Gault Millau pour envoyer un courrier personnalisé aux 600 restaurants les mieux notés de France. C’est ainsi que les chefs étoilés ont reçu en février 2011 une lettre décrivant ma passion pour ce métier, accompagnée d’une fiche technique de ma production. Je leur proposais un service sur mesure avec la livraison d’asperges vertes calibrées les plus homogènes possibles. Une trentaine de chefs a répondu. J’ai reçu un appel de Christophe Bacquié, chef de l’Hôtel du Castellet dans le Var, qui a eu envie de découvrir le produit. La maison Troisgros, Alexandre Mazzia et plein d’autres ont suivi… et un premier colis envoyé à l’Arpège chez Alain Passard, pape du légume. Il m’a rappelé dès le lendemain. « Radio casserole » a fait le reste… les chefs ont l’habitude de se transmettre les bonnes adresses. L’ouverture d’une page sur Facebook a permis de développer la notoriété des asperges de Roques-Hautes, les chefs y valorisant mon travail en communiquant directement sur le produit.
En 2014, j’ai intégré le Collège Culinaire grâce à Christophe Bacquié, qui a proposé ma candidature en tant que producteur de qualité. C’était important à mes yeux de sensibiliser les chefs à la saisonnalité des produits. Quand je vois des asperges servies hors saison, dans des menus de Noël ou du jour de l’an par exemple, je me dis qu’il y a du travail pour faire passer le message…
Producteur, agriculteur, paysan, maraîcher… comment vous qualifier exactement ?
Il existe un terme un peu barbare pour désigner les cultivateurs d’asperges : asparagiculteur du latin « asparagus » origine du mot asperge… ou producteur d’asperges pour faire plus simple !
Quelles variétés d’asperges produisez-vous ?
Je travaille la variété Grolim (récoltée de début mars à avril), adaptée pour faire de grosses asperges se comportant bien dans nos sols. Ainsi que la variété Thielim cultivée en plein champs et récoltée de mi-avril à fin mai. Ce sont ces choix de culture ajoutés au tour de main du producteur qui font que les asperges de Roques-Hautes ont ce goût !
Avec votre devise « du champs à l’assiette en 24 heures », votre emploi du temps est manifestement chargé ; comment organisez-vous votre temps ? Combien de personnes travaillent avec vous ?
Les journées sont très chargées durant la saison. On commence la récolte des asperges à la main tôt le matin. Une fois la récolte terminée, dans la foulée nous les calibrons une par une très délicatement et les colis de 5 à 20 kg sont prêts à être expédiés vers 16h00. Elles voyagent de nuit pour être livrées le lendemain avant 13h00. On a commencé avec rien en 2009. Je travaillais avec ma compagne et un salarié et nous terminions nos journées à plus de minuit… Aujourd’hui nous travaillons avec 5 salariés. En ce moment, il part entre 150 et 200 kilos d’asperges par jour !
Vous êtes devenu la référence des plus grandes tables de France. Aimez-vous aller déguster vos produits au restaurant ? Quelles sont les créations de plats à base de vos produits qui vous ont le plus marqué ?
C’est ma plus belle récompense ! Quand c’est possible (ce qui n’est pas toujours facile durant la saison), j’aime aller déguster mes produits chez les chefs avec lesquels je travaille. Ce qui me plait vraiment c’est lorsque l’asperge est magnifiée sans y rajouter trop d’ingrédients… J’aime quand il n’y a que l’asperge dans le plat. Je me souviens de la toute première entrée que j’ai goûtée avec les asperges du domaine. Elles étaient préparées avec un beurre de roquette, des copeaux de jambon cru italien millésimé et un sabayon à l’huile d’olives et citron. Il y a 2 ans, j’ai eu l’immense plaisir de déguster un dîner « asperges en 12 services » chez Alain Passard. Un souvenir mémorable puisque ayant loupé 2 trains, je suis arrivé à l’Arpège à plus de 23 heures, accueilli avec le sourire par toute l’équipe. Crues, cuites à la verticale, rôties, à la vapeur… j’ai découvert mes asperges cuisinées de l’entrée jusqu’au dessert sous toutes les formes possibles. Juste incroyable !
Si demain je vous invite à déguster des asperges à la maison, quelle sauce ou quel accompagnement (cuisine de ménagère) vous ferait plaisir ?
J’aimerai les déguster comme les prépare le chef Pascal Barbot : cuites au beurre dans un sautoir couvert à feu très doux pour une cuisson très lente. Servies avec un filet d’huile d’olives noires de la Vallée des Baux pour retrouver tout le goût du végétal…
Un conseil pour les « jardiniers du dimanche » afin qu’ils obtiennent de belles asperges dans leur potager ?
Il faut que l’aspergeraie reste verte le plus longtemps possible. Il ne faut pas que la rouille et le Stemphylium dessèchent l’asperge. Je recommande l’utilisation de la bouillie bordelaise pour préserver les asperges de ces maladies préjudiciables.
Propos recueillis par Annie Mitault