« La Drôme provençale est un jardin… » comme il aime à le souligner, et les trésors culinaires qu’elle recèle font l’objet de toute ses attentions. Le premier département producteur de truffes de France ne pouvait trouver meilleur ambassadeur en la personne de Julien Allano, jeune chef étoilé du Clair de Plume à Grignan (restaurant labélisé Table Gastronomique). Fidèle à sa devise « ne jamais trahir un produit », il encense les productions locales avec précision et subtilité. Rencontre avec cet artisan du goût hors pair.
Racontez-nous votre plus ancien souvenir gustatif…
Ce n’est pas un… mais deux plats qui sont gravés dans ma mémoire… Le couscous de ma grand-mère qu’elle préparait très tôt le matin. Cela embaumait toute la maison… Enfant, je passais la semoule au tamis qu’elle avait cuite 3 fois au préalable… et puis le civet de lapin de ma mère, servie avec de la polenta frite et de la sauce… J’adorais çà ! Je garde le souvenir de cette cuisine « du dimanche » à la maison, une cuisine généreuse à souhait !
Comment est née votre envie de faire ce métier ?
Mon père était un très bon cuisinier. Son époque était celle de la grande cuisine avec les légumes tournés à profusion et les décors d’assiette taillés au scalpel… Il est décédé lorsque j’avais 3 ans. Ma mère et ma grand-mère m’ont élevé en cultivant son souvenir… elles m’ont appris que la nourriture est basée sur le partage. L’envie de cuisiner ne m’est pas venue tout de suite. Je me destinais plutôt à une carrière de garde forestier. C’est vers la fin de ma scolarité, en classe de 3ème, que j’ai pris la décision de devenir cuisinier comme mon père. Un héritage qui m’a mis beaucoup de pression durant les premières années de mon parcours professionnel… Puis l’expérience m’a façonné et m’a permis d’écrire ma propre histoire. Aujourd’hui je ne fais plus ce métier pour mon père mais en mémoire de mon père…
Qui sont vos mentors ?
Après avoir obtenu mon CAP et BEP de cuisine au Lycée Hôtelier Saint-Joseph à Villefranche-de-Rouergue (12), j’ai commencé à travailler au restaurant « Le Sénéchal » avec Michel Truchon. Il m’a initié au sens du beau et du bon. Il m’a transmis le respect du produit et de la saisonnalité, comme ce très simple : utiliser les légumes qui poussent hors de terre l’été et ceux qui poussent dans la terre l’hiver… Michel Truchon est un très grand professionnel, je lui dois beaucoup !
Comment qualifier la cuisine du Clair de Plume ?
L’évolution dans la tradition ! C’est une cuisine régressive mais surtout une vraie histoire autour des produits. Ce qui m’intéresse c’est de garder leur authenticité. Pas de superflu. Pas de décoration inutile. A mon sens, une cuisine est aboutie quand on n’a plus rien à enlever dans l’assiette… Je suis en quête permanente de cette pureté gustative…
Citez-nous un produit que vous n’aimez pas et que vous n’avez jamais cuisiné
Tous les produits méritent d’être travaillés dans leur saisonnalité. Bien sûr j’appréhende des saveurs mieux que d’autres mais tout évolue. Un produit comme la Poutargue par exemple, que j’avais du mal à utiliser auparavant… aujourd’hui je cuisine avec ces œufs de mulet salés et séchés et j’apprécie leur côté iodé et légèrement amer. J’ai moins d’atomes crochus avec la pâtisserie, c’est pour cela que je m’entoure des meilleurs comme Jean-Christophe Vitte, mon chef pâtissier.
Les producteurs locaux avec lesquels vous travaillez font l’objet d’une attention particulière sur la carte de votre restaurant. Comment les sélectionnez-vous ?
Ce qui fait la différence entre tous les chefs c’est le choix de sa matière première et le savoir-faire. Dans mon cas, je ne peux pas travailler un produit si je n’ai pas de producteur derrière… chaque produit a une histoire… Je suis en mesure de vous citer le nom du pêcheur des poissons que j’ai sur ma carte ainsi que le nom du bateau où ils ont été pêchés ! Il est de ma responsabilité de faire ressortir le produit au plus près de ce qu’il est ! Tous les trimestres je fais une tournée de mes fournisseurs et de mes producteurs locaux pour anticiper la saison à venir. Cela fait partie intégrante de mon travail et c’est sans fin… Dernièrement j’ai mis de la pintade sur ma carte, suite à une rencontre avec un éleveur de volaille venu me voir spontanément. Son histoire et sa production de très haute qualité m’ont séduit ; hier j’ai rendu visite à mon mareyeur pour échanger avec lui sur les poissons de la nouvelle saison ; bientôt j’irai voir mon maraîcher pour les tomates et les fruits rouges de l’été…
Vous êtes très attaché au travail en équipe. Parlez-nous de votre brigade et notamment de votre collaboration avec Jean-Christophe Vitte votre chef pâtissier, Meilleur Ouvrier de France 2015 et Champion du Monde de desserts glacés.
Si je n’ai pas d’équipe je ne fais rien ! La constance et la régularité dans l’assiette sont le fruit d’un travail global. Le travail de toute une équipe. Il y a encore 20 ans, on trouvait facilement du personnel. Plus maintenant. Avec la surmédiatisation du métier et la starification des chefs, les candidats ont le choix du roi. Si l’on veut tirer le meilleur de sa brigade, il faut savoir la mettre en valeur. C’est ce que je m’efforce de faire au quotidien au sein de mon entreprise. Avec Jean-Christophe Vitte c’est une évidence. Nous nous connaissons depuis 12 ans et nous avons une grande complicité. Ses créations, ses desserts sont d’une très grande qualité avec le souci du détail d’un Meilleur Ouvrier de France. A l’heure où, malheureusement, on mange plus par la vue, un peu moins par le palais, son professionnalisme est capital au Clair de Plume. Il me tire vers le haut et c’est sur lui que je m’appuie pour préparer à mon tour le concours MOF. Ce concours est une aventure exceptionnelle. C’est l’homme devant la matière brute. Lors des épreuves, il faut être capable de faire une excellente synthèse de son métier…
Vous proposez un menu spécial « 4 mains » plusieurs fois dans l’année. Quelles sont les créations, dont vous êtes le plus fier ?
Bien plus que les créations en elles-mêmes, ce sont plus les techniques ou le tour de main des chefs invités qui m’ont étonné. Je suis très attentif aux subtilités qui permettent d’arriver à un résultat. J’ai le souvenir d’un jus de céleri à la pomme verte lié au sang de porc, tel un boudin liquide… j’étais très impressionné. Chaque dîner à 4 mains est un échange, une rencontre entre deux hommes et une équipe. Ce n’est pas une course à l’égo. Tout se fait en symbiose. Le chef que j’invite a la priorité sur le choix des produits et des plats. Je m’immisce ensuite. Cela crée un certain inconfort pour mon équipe qui reçoit des instructions d’un chef qu’elle ne connait pas et demande à chacun une certaine ouverture d’esprit pour s’adapter. Nous avons déjà eu le plaisir de recevoir deux chefs belges, Pascal Devalkeneer (chef du Chalet de la Forêt**) et Christophe Hardiquest (Chef du Bon-Bon*) ainsi que Glenn Viel (chef de l’Oustau de Baumanière**).
Quelle place accordez-vous aux jeunes et à la transmission de votre métier ?
Comme pour tout métier de l’artisanat, nous avons un devoir de transmission. Sinon ce métier va se perdre et le savoir-faire va se déliter. C’est tellement enrichissant de prendre un jeune en main et de l’aider à bâtir sa carrière. Notre brigade compte 4 apprentis en cuisine et 2 en pâtisserie. Ouvert 365 jours par an, le Clair de Plume et ses activités plurielles (restaurant gastronomique, bistrot, salon de thé etc.) offre à nos apprentis la possibilité de s’essayer à de nombreuses expériences culinaires.
Citez-nous votre accord fromage/vin préféré
J’aime tous les fromages. Je vais cependant « bousculer » les habitudes en évoquant l’Occelli, un fromage affiné au malt de whisky que j’affectionne particulièrement. A la fois sucré, salé, amer avec une pointe d’acidité et légèrement tourbé, il est exceptionnel. A déguster avec un bon whisky bien entendu !
Quelle est votre actualité ?
Je serai sur Paris mercredi 18 mai et jeudi 19 mai à l’atelier de cuisine du BHV Marais pour des démonstrations culinaires avec les produits issus de ma nouvelle marque « Jullien Allano par aix&terra ». Ce sont des sauces, des condiments et autres spécialités (riste d’aubergine, poivronnade, tapenade verte, crème de citron, confiture de noix, Ketchup carotte etc.), que j’ai récemment créés avec la manufacture « aix&terra » d’Aix en Provence. Puis le vendredi 3 juin, j’aurai le plaisir d’accueillir Julien Roucheteau du restaurant** La Table du Lancaster (Paris) pour un nouveau dîner d’exception à 4 mains.
Si demain je vous invite à déjeuner à la maison, quels sont les plats qui vous rendent heureux ?
J’aime manger le plus simplement du monde. Des coquillettes par exemple avec juste ce qu’il faut de beurre et une belle tranche de jambon blanc. Ou encore un bon pâté sur du pain grillé avec un verre de vin blanc, de la salade et du fromage…
Propos recueillis par Annie Mitault
Crédit Photos :
Alain Maigre