Difficile de passer à côtés des fourneaux quand on a été « élevé » à la graisse de canard, comme aime le revendiquer Michel Sarran. Alors qu’il se destinait à porter la blouse blanche, c’est une veste de cuisine que le grand chef enfile chaque matin dans son restaurant toulousain. Et de la même façon qu’il aime piloter son avion vers des terres lointaines, sa cuisine de « haut vol » nous transporte vers des émotions gustatives sans cesse renouvelées… A quelques jours de la grande finale de Top Chef, nous avons rencontré Michel Sarran, jury de l’émission, au tempérament entier et indépendant.
Racontez-nous votre plus ancien souvenir gustatif…
Une fricassée de poulet à l’oignon que faisait ma mère quand j’étais enfant… un plat rustique et paysan que nous partagions autour de la table familiale.
Vous vous destiniez à devenir médecin… quel a été le déclic ? Comment est née cette envie de passer derrière les fourneaux ?
J’ai suivi un cursus scolaire tout à fait classique avec un bac scientifique. J’avais l’habitude d’assister mon oncle qui était vétérinaire. L’acte chirurgical m’intriguait et je me suis persuadé que je pouvais devenir médecin. Après avoir fait deux fois la 1ère année à la faculté, la médecine m’a laissé tomber… j’avais même tenté le concours de sage-femme… J’ai vite été pris de court car la vie c’est aussi des obligations et des responsabilités. Ma mère tenant une ferme auberge dans le Gers, j’ai commencé la cuisine avec elle par raison et sans passion. Elle faisait une cuisine Gasconne sans prétention. Elle, comme moi, avions à l’époque une méconnaissance totale de la gastronomie. Très rapidement j’avais fait « le tour » de l’auberge familiale et je suis parti à 21 ans à Paris dans un restaurant italien « La Main à la Pâte ». Moi qui avais horreur des nouilles au beurre que cuisinait ma mère (puisqu’elle ne savait pas faire cuire les pâtes), j’y ai découvert les richesses de la cuisine méditerranéenne. Un jour, mes parents sont allés manger au Juana, le restaurant d’Alain Ducasse à Juan -Les-Pins, où il venait d’obtenir 2 étoiles Michelin. A la fin du repas ma mère a demandé à le voir pour le féliciter puis n’a pas hésité à lui dire : « Votre cuisine est très bien, il lui manque juste un truc : mon fils ! ». Intrigué, Alain Ducasse l’a pris au mot et m’a contacté. J’ai fait le grand saut !
Votre premier chef a donc été votre maman Pierrette Sarran. Comment a-t-elle influencé votre façon de cuisiner et d’appréhender ce métier ?
Je lui dois beaucoup, son culot entre autres ! Plus que la cuisine, elle m’a inculqué un vrai état d’esprit : ne pas vouloir être ce que l’on n’est pas ! Elle m’a appris que la générosité et l’authenticité sont essentielles en cuisine. Que l’on peut se régaler avec une cuisine simple. Elle m’a transmis l’importance du choix des produits, de la qualité de la cuisson et de l’assaisonnement.
Vous avez fait vos armes chez les grands de la gastronomie française : Alain Ducasse, Michel Guérard et Jean-Michel Lorrain. Considérez-vous l’un d’entre eux comme votre mentor encore aujourd’hui ?
On apprend beaucoup de nos mentors. Chez Ducasse, j’ai compris « dans la souffrance » que la cuisine était un moyen d’expression. Avant de me prendre au Juana, il m’a d’abord envoyé dans le restaurant étoilé Le Balcon à Cap d’Antibes, où l’on servait la meilleure bouillabaisse au monde, pour que j’apprenne les techniques de base ; puis chez Lenôtre en stage pour qu’on m’enseigne les rudiments de la pâtisserie. J’ai ensuite travaillé à ses côtés en tant que commis. J’en ai bavé des ronds de serviettes mais je me suis accroché ! Michel Guérard est un homme hors du commun doté d’une intelligence rare, un avant-gardiste. Il a inventé la cuisine minceur. Si la cuisine était nobélisable, c’est à lui que devrait revenir le prix Nobel de la cuisine française ! Ce petit morceau de beurre en plus qui à première vue ne sert à rien mais que je rajoute… c’est un réflexe « Guérard »… Il m’a appris à construire les plats, à les penser virtuellement avant de les faire. Aujourd’hui je les dessine d’abord dans ma tête avant de les créer. J’ai vécu une très belle aventure humaine avec toute la famille Lorrain à Joigny. J’y ai découvert la cuisine bourguignonne et lyonnaise. Michel m’a appris les valeurs essentielles de la cuisine ; qu’on n’a pas le droit de décevoir des gens qui ont fait des kilomètres pour pousser la porte de votre restaurant. J’ai toujours eu pour habitude de ne jamais rester plus de 2 ans dans une maison. J’ai ce besoin de liberté. Mais je n’oublie pas qu’un homme n’existe pas seul. C’est l’éducation, la formation que ces grands chefs m’ont transmises, qui font ce que je suis aujourd’hui. Je leurs dois tout !
Citez-nous un produit que vous n’aimez pas et que vous n’avez jamais cuisiné…
Il y a tout un tas de produits que je n’ai jamais cuisiné. Je dirai les abats que je n’aime pas, même si j’ai des ris de veau à ma carte, un clin d’œil pour mon père. J’ai beaucoup de mal avec les rognons ou les tripes par exemple.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune passionné de cuisine et désireux d’apprendre ce métier ?
Il n’y a pas si longtemps, j’ai reçu le message d’une maman qui me demandait des conseils pour préparer l’avenir de son fils qui souhaite faire ce métier. Il est important d’avoir un niveau d’études général minimum. Bien apprendre les techniques de bases, que ce soit à l’école hôtelière ou en apprentissage, et gravir les échelons les uns après les autres. C’est après, que nous les chefs, dispensons aux jeunes une certaine vision de la gastronomie. Nous leurs transmettons notre philosophie culinaire dont ils vont s’inspirer plus tard dans leur carrière.
Votre restaurant, comme Tables & Auberges de France d’ailleurs, a fêté son 20ème anniversaire en 2015. Comment parvenez-vous à renouveler votre cuisine et à ne pas tomber dans une certaine routine ?
La routine est ma pire ennemie ! J’ai plaisir à faire des choses différentes et j’ai ce besoin de toujours m’attaquer à de nouveaux challenges. Comme je dis souvent à mon entourage, si je n’apprends plus rien c’est que je meurs… C’est ma façon d’être, mais la cuisine évolue aussi d’une manière générale. Mon emploi du temps est plutôt chargé et me demande beaucoup d’énergie mais j’en retire aussi beaucoup de satisfaction. J’ai la chance d’avoir une équipe de choc dans mon restaurant, c’est grâce à eux que je peux faire autant d’activités.
Une fois le professionnalisme acquis, en quoi la communication est-elle importante pour un chef (réseaux sociaux, tv etc.) ?
Nous sommes des créatifs mais nous sommes surtout des entrepreneurs. J’ai un devoir de réussite envers les 30 personnes qui travaillent dans mon restaurant. Je suis responsable de ces familles. La communication, qu’elle soit digitale ou pas, est incontournable, il faut faire le buzz. J’ai retenu la maxime d’Alain Ducasse, il faut en 1 « savoir faire », en 2 « faire faire » et en 3 « faire savoir ». La télévision est une loupe, un coefficient multiplicateur incroyable. J’étais loin de m’imaginer ce que cela pouvait être avant d’intégrer le jury de Top Chef. C’est un véritable tsunami qui s’est abattu sur moi. Çà génère une vie différente, on devient un personnage public.
Si demain je vous invite à déjeuner à la maison, quels sont les plats qui vous rendent heureux ?
J’aime les choses simples. La cuisine exotique ou asiatique, une pizza ou un hamburger, le tout fait maison bien sûr ! Partager un moment de convivialité entre amis autour d’un bon poulet rôti avec des frites, celles d’Hélène Darroze qui sont particulièrement bonnes !
Quel est votre accord vin/fromage préféré ?
J’en ai plusieurs… J’aime par exemple déguster un morceau de Roquefort avec un verre de vin blanc sec. D’une façon générale, j’accorde beaucoup d’importance au plateau de fromages dans mon restaurant ; qu’il soit bien ventilé et oxygéné. A mes yeux, occulter le fromage c’est occulter la gastronomie française !
Hormis la prochaine finale de Top Chef, quelle est votre actualité ?
De nouveaux projets professionnels vont voir le jour à la rentrée prochaine, il est encore trop tôt pour en parler… J’aurai également le plaisir de participer à Top Chef, édition Moyen-Orient. Une émission en lien avec Top Chef France, diffusée dans plus de 10 pays et qui réalise une audience de 110 millions de téléspectateurs. J’aimerai également prendre du temps pour moi (avant j’en avais…) ; aller plus souvent à Ibiza où j’aime me ressourcer ou à Barcelone au Café Emma, que j’ai créé avec mon ami Romain Fornell, une très belle aventure humaine là aussi !
Propos recueillis par Annie Mitault
Crédit Photos :
Laurent Barranco
Jean-Bernard Laffitte
Jean-Jacques Gelbart
Jacques Vieussens