Passionné de cuisine depuis sa plus tendre enfance, Benoit Vidal se distingue par son talent à sublimer les joyaux culinaires de la montagne. Dans son beau chalet à l’ancienne, situé au pied des pistes du Fornet Pissaillas, il nous ouvre les portes de son univers gastronomique, alliant subtilement les saveurs de la Savoie aux arômes du sud, terre de ses origines… Et si son chemin a croisé beaucoup de grands chefs, il prend aujourd’hui beaucoup de plaisir à travailler dans une petite structure, où l’humain occupe une place de choix. Rencontre avec Benoit Vidal, chef de l’Atelier d’Edmond à Val d’Isère (73), labélisé « Table de Prestige » chez Tables & Auberges de France.
Racontez-nous votre plus ancien souvenir gustatif… Comment est née votre passion pour la cuisine ?
J’ai été bercé par la cuisine, particulièrement auprès de ma grand-mère qui préparait le déjeuner des écoliers du village. Elle m’a transmis l’amour des choses bien faites. Je garde le souvenir de son œuf à l’oseille. C’est ma « Madeleine de Proust » à moi ! Enfant, je m’habillais en cuisinier pour défiler lors du carnaval… C’est le métier que j’ai toujours voulu faire depuis ma plus tendre enfance. J’ai fait mon apprentissage du côté de Perpignan. Comme je ne m’en sortais pas trop mal, mon professeur principal m’a fait partir sur Paris à 18 ans, un peu comme dans la chanson d’Aznavour « j’ai quitté ma province… ». J’ai découvert les grandes brigades, les maisons étoilées… là-bas j’ai intégré la Maison Prunier, l’année où l’établissement a décroché sa deuxième étoile. N’étant pas un grand adepte de Paris, je suis revenu en province 2 ans après. J’ai ensuite fait mes armes chez Michel Trama et poursuivi mon parcours chez Michel Guérard et Régis Marcon. Entre temps j’ai aussi obtenu une première étoile Michelin au Mas des Herbes Blanches dans le Lubéron. J’ai posé mes valises à l’Atelier d’Edmond en 2011.
Quel autre métier auriez-vous pu exercer ?
Un métier en rapport avec la nature… dans les eaux et forêts par exemple, ou encore ébéniste…
Vous avez un long passé dans les cuisines des plus grands : Michel Trama, Michel Guérard et Régis Marcon. Comment ont-ils influencé votre façon de cuisiner et d’appréhender ce métier ?
Tous sont de très grands professionnels et m’ont transmis leur philosophie du métier. Michel Trama est un visionnaire. A l’époque où l’on utilisait beaucoup des assiettes à liseré, il dressait déjà ses plats dans des assiettes avant-gardistes comme des coquillages… toujours à la recherche de la mise en scène ! Michel Guérard incarne à mes yeux l’intelligence, la cuisine minutieuse, l’esprit du jardin… il a su innové en allégeant la cuisine. Régis Marcon m’a mis le pied à l’étrier. J’ai été son second pendant 2 ans. C’est lui qui m’a permis de rebondir après une période personnelle difficile, en me parlant de l’Atelier d’Edmond à Val d’Isère. Il m’a présenté le propriétaire et ce fût un vrai coup de cœur pour cet endroit au cœur des sapins et de la montagne. C’est sur ses conseils que je me suis lancé ! Quand j’ai repris l’Atelier, ils y servaient encore de la tartiflette… la première étoile est arrivée au bout de 4 mois et la deuxième au bout de 2 saisons.
A votre tour, aimez-vous travailler avec des jeunes à l’Atelier d’Edmond pour transmettre votre passion ?
Bien sûr ! On a beau être expérimenté, seul on est rien. Je trouve important de savoir donner envie et donner l’exemple. Quand on commence ce métier on ne sait pas qui on est. Il y a tout un parcours à accomplir. On est une éponge et on absorbe toute l’émotion, le savoir-faire, la personnalité des personnes avec lesquelles on travaille. Et comme je le dis souvent : « la parole enseigne, l’exemple entraîne… ». J’arrive le premier au restaurant le matin et j’en pars le soir une fois le dernier client parti. On se doit être irréprochable.
La montagne regorge de producteurs locaux (fromages, légumes, vins etc.), comment les sélectionnez-vous ?
Quand la curiosité me pique, j’y vais, je goûte ; j’ai besoin de voir comment le travail est fait, connaitre les personnes… l’univers des producteurs locaux est la trame de mon travail. Le safran de Maurienne, les Crozets de Beaufort, le lard de la Vallée d’Aoste etc. j’ai beaucoup de plaisir à retravailler les produits à consonance rustique et désuète. En tant que chefs de cuisine, c’est de notre responsabilité d’être l’étendard de ces artisans qui font perdurer des métiers, et qui pourraient disparaitre…
Comment qualifier la cuisine de l’Atelier d’Edmond ?
Pour certains, elle illustre un « terroir moderne ». Pour d’autres, elle représente un lieu, une identité, une âme, un ADN… la cuisine de l’Atelier d’Edmond fait partie intégrante de la région. Je ne suis pas un locavore pur et dur, mais la montagne est un lieu où je me sens à l’aise, il y a de la matière : Les viandes de Savoie, les poissons du Lac Léman (les filets de Féra, les écrevisses etc.), les baies de sureau, les fromages de Beaufort… J’apprécie de pouvoir travailler les produits locaux, de leurs donner du relief, et d’y apporter une touche personnelle grâce aux épices, aux agrumes, aux herbes aromatiques etc. Je travaille beaucoup d’assiettes à base de végétal. Par exemple, je peux revisiter un risotto à la truffe en remplaçant le riz par un céleri fumé.
Quel est votre accord vin/fromage préféré ?
Un morceau de fromage de Beaufort avec un verre de Savoie blanc (Quartz du Domaine des Arboisières). Une vraie opposition entre le côté « noisetier » du Beaufort et le côté « minéral » du blanc qui rafraîchit !
Citez-nous un produit que vous n’aimez pas et que vous n’avez jamais cuisiné…
C’est une question difficile car j’aime tout. Peut-être un produit goûté au Japon que je ne pourrai jamais cuisiner : le natto (graines de soja fermentées). Après, il y a certains produits que je m’interdis de reproduire car on les trouve dans les classiques des grands chefs avec lesquels j’ai travaillé. Il m’arrive de faire des clins d’œil, comme celui à Régis Marcon, à travers une assiette de champignons mais de façon très ponctuelle et très limitée dans le temps.
Si demain je vous invite à déjeuner à la maison, quels sont les plats qui vous rendent heureux ?
Un poulet bien rôti à la peau croustillante avec des pommes de terre craquantes et une salade servie avec une vinaigrette légère aux herbes ! Ou bien un pot au feu… un plat simple et authentique… un plat à partager que l’on met au centre de la table. Le partage c’est l’identité propre de la restauration… la raison d’être du restaurateur !
Parlez-nous de vos cours de cuisine. Qui sont vos clients ?
Je le faisais déjà chez Régis Marcon. J’aime ce côté échange et partage du savoir faire avec mes clients. En règle générale ce sont des habitués qui aiment la cuisine et l’univers de l’Atelier d’Edmond et qui aiment y revenir. Cet été nous allons essayer de mettre en place de nouveaux cours de cuisine avec en amont une cueillette d’herbes fraiches en montagne.
Propos recueillis par Annie Mitault