Etre une mère accomplie et « cheffe » de cuisine épanouie n’est pas antinomique. La preuve, petite vendeuse de glace sur l’île de Bréhat à ses débuts, Sabrina Chaumet, maman de trois enfants, n’a pas hésité à vivre sa passion pour la gastronomie en passant derrière les fourneaux de l’Hôtel-Restaurant Aigue-Marine (Distinction 2016 Tables & Auberges de France – Catégorie « Table de Prestige ») à l’âge de 40 ans. Et si initialement elle occupait la fonction de maitre d’hôtel dans l’entreprise familiale, elle a finalement repris le flambeau de la cuisine du restaurant étoilé, mettant à mal bon nombre de clichés. Rencontre avec cette femme chef au parcours atypique, qui, enfant, préférait croquer une échalote plutôt qu’un bonbon…
Aujourd’hui nous sommes le 8 mars, journée internationale de la femme. La cuisine est souvent perçue comme un milieu d’hommes… trouvez-vous que cela a évolué ? Est-ce plus compliqué pour une femme de réussir dans le milieu de la gastronomie ?
Même si cela reste un milieu masculin, on ne doit pas oublier qu’historiquement les femmes ont toujours cuisiné. Nos mères, grand-mères, arrières grand-mères… étaient aux fourneaux et laissaient bien souvent de côté leur vie professionnelle pour se consacrer au bien être de leur famille. Un bien être qui passait par la bonne cuisine… Je trouve qu’aujourd’hui les femmes reviennent en force dans la gastronomie. Lors de mon passage à l’Ecole d’Alain Ducasse, la gente féminine représentait la moitié de l’effectif. Depuis que j’occupe la fonction de chef à l’Aigue-Marine, je reçois beaucoup de candidatures de femmes, nous avons même la parité dans notre équipe (3 filles et 3 garçons). Le seul bémol est qu’il n’est pas simple de faire ce métier pour une jeune femme qui souhaite avoir des enfants… il faut savoir faire sa place tout en conciliant sa vie de maman.
Justement, comment arrivez-vous à concilier votre profession avec votre vie d’épouse et de maman ?
Mon mari me soutient beaucoup et nous avons eu le bonheur de faire nos 3 enfants très tôt. Ils sont adolescents maintenant, et ils comprennent que je sois moins disponible, depuis que je suis passée derrière les fourneaux. Ils en retirent même une certaine fierté. Mon plus grand qui fait l’école hôtelière de Dinard a vécu ce changement de vie de façon intense et n’hésite pas à m’envoyer des petits textos pour partager avec moi cette aventure. Il a lui-même la fibre du métier et le goût du bien manger. Je prouve tous les jours à mes enfants qu’avec la volonté d’y arriver tout est possible ! Et même si en pleine saison c’est compliqué de se libérer, le dimanche soir est sacré pour nous. A l’issue du service du dimanche midi, nous nous retrouvons en famille et passons du temps ensemble. Un moment privilégié pour tous.
Pensez-vous qu’il y a une cuisine féminine ? Comment qualifier votre cuisine ?
Je n’ai pas assez de recul là-dessus. Les femmes chefs ont peut-être une sensibilité différente pour la présentation de l’assiette. La mise en scène est plus travaillée, mais la conception, la cuisson et l’assaisonnement restent les mêmes. Je pratique une cuisine de gourmandise et de partage. Ma priorité est de donner du plaisir et du bonheur à mes clients.
Votre vocation pour la cuisine a été tardive… quel a été le déclic ? Comment est née cette envie de passer derrière les fourneaux ?
C’est le challenge de ma vie ! L’hôtel-restaurant Aigue Marine est avant tout une entreprise familiale. J’y travaille avec mon mari Jacques et sa sœur Chantal depuis 20 ans. Le passage de la salle à la cuisine s’est fait naturellement. Lorsque notre chef Yoann Péron a annoncé son départ, ce fût un mal pour un bien. Il fallait trouver un nouveau chef qui reprenne le flambeau. Je ne me suis pas longtemps posé la question. C’était une évidence. Je le sentais dans mes tripes… soutenue par toute la famille, j’ai relevé les manches et décidé d’y aller. De la salle à la cuisine il n’y a qu’un pas. En service, nous ne sommes pas de simples « porteurs d’assiettes ». On vit les créations, les associations de produits et les cuissons que l’on transmet à la clientèle. Mon goût de la cuisine, les formations et les rencontres que j’ai faites, ont été déterminants. J’ai suivi un stage intensif (de 6h00 à 18h00, 5 jours sur 7) à l’école d’Alain Ducasse à Argenteuil en janvier et février 2015. Bien sûr, le démarrage ne fût pas simple. En salle je n’avais pas ce stress que l’on connait en cuisine. J’ai dû partir à la recherche de nouveaux producteurs et trouver mes repères. Avec le temps, toute l’équipe a pris ses marques et aujourd’hui nous sommes très contents. Le maintien de notre étoile Michelin (obtenue en 2012) a été un soulagement. Cela m’a conforté dans le fait que l’amour du métier et le partage sont les clés de la réussite.
Racontez-nous votre plus ancien souvenir gustatif…
Dans le potager de mon papa… lorsqu’il éclaircissait les carottes, je récupérais les plus petites pour les manger juste passées sous l’eau du robinet… également les radis et les échalotes que je mangeais crues comme des bonbons. Quand j’étais malade, je demandais à ma maman de me préparer « le petit poisson dans l’eau ». Il s’agissait d’un lieu jaune poché au court bouillon et cuit avec une noisette de beurre de baratte…. C’est sans doute pour cela que vous trouvez encore du lieu jaune sur ma carte…
Quels sont vos produits de prédilection ?
Les produits de la mer bien sûr ! Les langoustines, les coquilles Saint-Jacques, les coquillages, le lieu jaune… un Saint-Pierre juste poêlé minute servi avec des légumes primeurs croquants. Je pratique une cuisine simple avec du goût. J’ai grandi avec ce rapport au goût dans le potager de mon père. Croquer dans une tomate qui a poussé au soleil, toute sucrée et encore chaude fait toute la différence. Ma mère faisait elle-même son propre beurre de baratte, bien jaune et bien gras. Je n’ai jamais pu retrouver ce goût-là dans le beurre de baratte que je me procure chez les fermiers. Côté producteurs locaux, il n’est pas toujours facile d’en trouver qui tienne sur le volume demandé. Je travaille bien sûr avec ceux de la région que je connais bien, je les appelle d’ailleurs par leurs prénoms : les légumes bio d’Alexandre, les escargots de Béatrice… Je cuisine aussi le homard breton pêché en casier, une production très localisée, ainsi que le champignon de Saint-Pol plus connu sous le nom de « shiitaké ».
Citez-nous un produit que vous n’aimez pas et que vous n’avez jamais cuisiner…
J’ai un peu de mal avec certains abats comme le foie et le cœur. Mais je suis surtout incapable de cuisiner la viande de cheval ! Enfant, je montais… cette proximité avec les chevaux, que j’adore, m’empêche d’en manger.
Si demain je vous invite à déjeuner à la maison, quels sont les plats qui vous rendent heureuse ?
Je n’ai pas besoin de grande cuisine pour passer un moment d’exception. J’apprécie de lâcher prise et de rigoler autour d’un plat convivial avec un bon verre de vin. Un plateau de fruits de mer (Bretagne oblige !), une paëlla de la mer, un plat de partage où chacun se sert seront parfaits !
Quelle est votre actualité ?
Lors de la réouverture de l’établissement prévue fin mars, les clients vont découvrir une salle de restaurant plus cosy, puisque nous sommes en train de rafraichir la déco. Côté cuisine, je réitère le travail commencé en 2015 et je continue dans la même optique avec pour objectif de faire mieux que l’année passée.
Propos recueillis par Annie Mitault