La complicité d’un duo de chefs père-fils est sans égale, particulièrement dans la transmission du goût des beaux et des bons produits. Ainsi, s’il a pu un jour envisager un autre métier que celui de cuisinier, le jeune chef Hubert Chanove est très vite repassé derrière le fourneau aux côtés de son père Jean-Marie. A quelques minutes de Genève et du Lac Léman, c’est une partition à quatre mains qui se joue chaque jour au Refuge des Gourmets (labélisée Table de Prestige). Rencontre avec le jeune chef Hubert Chanove qui trouve son inspiration sur les étals des producteurs locaux.
Vous avez baigné toute votre enfance dans la cuisine. Avez-vous un souvenir gustatif particulier à nous raconter ?
C’est plutôt un souvenir olfactif qui a marqué mon enfance. Celui de la truffe ! Quand on est tout petit, c’est une odeur puissante. Mon père travaillait la truffe envoyée par ma tante de la drôme. Il y avait donc la joie de recevoir ce colis de la famille puis de voir comment la préparer. J’adorais manger un peu de beurre de truffe sur un bout de pain…
A quel moment avez-vous décidé de poursuivre l’aventure familiale derrière les fourneaux ?
Difficile de passer à côté lorsque l’on passe la moitié de son temps dans un restaurant. Enfant, je faisais la sieste dans une salle adjacente à la salle des clients. Quand je finissais l’école je courrais rejoindre mon père en cuisine. J’y ai passé tous mes week-ends et toutes mes vacances ! J’avais l’œil partout !
Auriez-vous pu exercer une autre profession ? Si oui, laquelle ?
Mon premier souhait était de devenir boulanger, un métier lié aux odeurs toujours. Celles de la levure, de la fermentation, du pain et des viennoiseries qui sortent du four. Mais malheureusement après avoir fait des stages dans une boulangerie, le rythme de travail ne me convenait pas. Etant un gros dormeur, les horaires ont vite été un frein. Même si la vie de restaurateur est compliquée, j’ai grandi avec. Après mon BEP de cuisine je suis parti sur le terrain pour la pratique qui me manquait beaucoup. Avant de revenir dans l’entreprise familiale j’ai voulu aller voir ailleurs, découvrir un maximum de techniques et de régions différentes. Mon « petit tour de France » m’a emmené chez les Frères Raimbault à L’Oasis (Mandelieu-la-Napoule), puis à L’Oxalys chez Jean Sulpice (Val Thorens) et à La Pinède (Saint-Tropez) auprès d’Arnaud Donkele, avant de terminer chez Michel Troisgros (Roanne) pendant presque deux ans.
Comment votre papa, le chef Jean-Marie, a-t-il influencé votre façon d’appréhender ce métier ?
Il m’a appris le contact avec les producteurs locaux. Passer du temps et faciliter les échanges avec eux. Un principe que j’applique au quotidien. Je réserve au minimum une demi-journée par semaine pour faires mes achats et comparer les produits. Une habitude que j’ai retrouvée aussi chez Michel Troigros.
Parlez-nous de la cuisine du Refuge des Gourmets
Le plus important c’est le goût. J’ai la volonté d’interpeller le palais des clients avec des choses spécifiques comme les herbes sauvages. Elles apportent de la fraicheur et un peu d’acidité. Avec l’équipe nous allons régulièrement en faire la cueillette, suite à une formation que nous avons suivie en Suisse. Je cuisine aussi beaucoup de légumes provenant de trois producteurs locaux différents en fonction des saisons. Chacun a sa spécialité : le mesclun et les herbes, les légumes racines, les épinards, sans oublier les fruits de Savoie. On se retrouve sur le marché d’Annemasse ou de Bons-en-Chablais. Ils se connaissent tous et sont déjà venus déguster leurs produits au restaurant.
Comment parvenez-vous à innover en cuisine tout en conservant l’héritage culinaire familial ? Qui décide des changements de carte ?
On travaille ensemble mais je réfléchis et je crée la carte avec la ligne directrice de mon père particulièrement pour la clientèle habituée. Lorsque je suis revenu travailler à ses côtés, il m’a laissé faire. J’ai donc opéré des changements radicaux en intégrant beaucoup de techniques (que j’avais apprises durant mon périple!) dans les assiettes. Un grand écart qui s’est fait trop vite et qui n’a pas séduit nos habitués. La clientèle Suisse notamment attendait des plats classiques. On apprend tous de ses erreurs… grâce à mon père, on a redressé la barre ensemble et nous sommes revenus sur des classiques de la maison que j’ai réinterprété, comme la fameuse « pomme purée » très appréciée de tous.
Quels sont vos produits de prédilection ?
Les poissons du lac Léman ! Serge Carraud, pêcheur du lac, récupère ses filets le matin et arrive à 11h30 en cuisine avec la pêche du jour : ombles chevalier, feras, truites et de superbes écrevisses aussi gros que des langoustines. Je cuisine aussi les volailles (pintade, chapon etc.) que j’ai découvertes chez Michel Troisgros. Elles viennent de la ferme d’Alice dans le Cantal.
Chez Tables & Auberges de France, nous sommes très attachés à la valorisation des artisans et producteurs locaux. Pouvez-vous nous en recommander quelques-uns ?
Comme je l’ai déjà dit, j’attache beaucoup d’importance à la relation avec nos producteurs locaux. Ils sont précieux dans la recherche de qualité de nos produits. J’ai le plaisir de travailler avec Alexis Munoz pour l’huile d’olive, Sylvain Erhardt et ses asperges de Roques-Hautes, Serge Carraud (pêcheur du Lac Léman) et la famille Reymond qui cultive des patates douces en Haute-Savoie. Enfin je me fournis en fromages de chèvre chez Rebecca Zuccarelli, de la ferme du Petit Mont à Bellevaux.
Si vous aviez l’opportunité de faire un dîner à 4 mains avec une personnalité de la gastronomie, qui choisiriez-vous ?
Elles sont nombreuses… Je dirais Alain Passard car j’ai eu la chance de faire deux repas exceptionnels chez lui à Paris, dont l’un dans son jardin. Un incroyable souvenir de légumes cueillis à l’instant et cuits au barbecue. L’art de sublimer les produits les plus simples… Et puis le chef Emmanuel Renaut où je vais régulièrement manger pour la mise en valeur des produits du terroir de la région Auvergne Rhone Alpes.
Citez-nous un produit que vous n’aimez pas et que vous n’avez jamais cuisiné…
Je ne mange pas d’huitre ! Son goût iodé prononcé et sa texture me dérangent ! Du coup j’ai du mal à passer le cap et à avoir envie de la travailler et de la mettre à la carte. Je ne suis pas un fan inconditionnel du foie gras non plus mais je le cuisine.
Que prenez-vous au petit déjeuner ? Que représente à vos yeux ce premier repas de la journée ?
Je ne suis pas le mieux placé pour en parler car je mange très peu le matin. Je suis plutôt sucré avec une bonne brioche ou un panettone. Par contre nous avons l’habitude de partager tous ensemble un bon petit déjeuner tous les dimanches matins. La salle et la cuisine se retrouvent pendant une trentaine de minutes autour d’un café, d’un jus de fruits et des viennoiseries. Ça permet de mieux appréhender la longue journée du dimanche et de passer du temps ensemble. Il ne suffit pas de dire que nous sommes une entreprise familiale, il faut aussi le montrer au quotidien… Idem pour le déjeuner du personnel dominical. Ce jour-là on partage un repas plus étoffé.
Si demain je vous invite à déjeuner à la maison, quel menu vous ferait plaisir ?
Au restaurant j’aime beaucoup travaillé des pièces entières : carré de veau ou de bœuf, selle de chevreuil, volaille etc. Quand les clients les découvrent en salle, ils en commandent à leur tour. Pour me faire plaisir, préparez-moi une belle volaille, comme une pintade rôtie qui sort tout juste de la cocotte avec des pommes de terre qui ont cuites dans le jus. Avec un dessert autour de l’agrume… une tarte au citron.
Quelle est votre actualité ?
L’été dernier nous avons changé le mobilier de terrasse que les clients vont redécouvrir aux beaux jours. Nous proposons des menus thématiques au gré des saisons qui plaisent beaucoup. Actuellement c’est le menu « truffes ». Puis viendra le menu « lacs et montagnes » au printemps. Durant l’été, nous avons la particularité de préparer un menu « tout framboise » unique en France. Il faut savoir que Machilly a longtemps été la capitale de la framboise. C’est une production historique dont il reste malheureusement qu’une seule exploitation. De l’amuse-bouche au dessert, les clients dégustent des accords avec la framboise dont un sorbet poivron rouge/framboise.
Propos recueillis par Annie Mitault