« Ce qui ne tue pas rend plus fort » dit l’adage… Une maxime qui illustre bien le parcours de Nadia Sammut, fille de la Chef Reine Sammut, touchée par la maladie de coeliaque (intolérance au gluten) doublée d’une intolérance au lactose. De ses difficultés majeures pour s’alimenter est née l’envie de cuisiner différemment et de rendre accessible la gastronomie aux intolérants mais pas que… Aujourd’hui L’Auberge de la Fenière (labélisée Table de Prestige chez Tables & Auberges de France) est le premier restaurant gastronomique français 100% sans gluten. Les gastronomes de tous horizons n’hésitent pas à faire une étape au cœur du Lubéron pour se régaler des produits du terroir cuisinés sainement. Entretien avec Nadia Sammut, fondatrice de la « cuisine libre » et partisane du goût « de la fourchette à la fourche » :
La cuisine est souvent perçue comme un milieu d’hommes… trouvez-vous que cela a évolué ? Comment arrivez-vous à concilier votre vie professionnelle et votre vie de femme ?
Bien sûr que les choses évoluent ! Il suffit de regarder, de par le monde, combien de femmes gravitent autour de la gastronomie ! Et si la cuisine est devenue aujourd’hui un métier d’homme, on ne doit pas oublier qu’elle est d’origine matriarcale avant tout. Certes, c’est un métier difficile qui demande des efforts physiques, ne serait-ce que pour manipuler le matériel et les matières premières ; être mère n’est pas facile non plus, en raison des contraintes du métier, mais on oublie les difficultés par passion. A 63 ans, ma mère passe encore 18 heures par jour derrière les fourneaux… Dans la famille Sammut, la cuisine se vit par amour.
Pensez-vous qu’il y a une cuisine féminine ?
Je ne le pense pas, j’en suis sûre ! La femme perçoit la cuisine par amour, l’amour qu’elle apporte aux autres. Sa vocation est de transmettre, de donner. On n’est pas dans la compétition, contrairement aux hommes qui pratiquent ce métier avec leur ego. On retrouve aussi plus de douceur dans l’assiette, en termes de choix des ingrédients et de présentation.
Racontez-nous votre plus ancien souvenir gustatif…
La cuisine de ma grand-mère ! Je l’ai toujours en tête. Ma Madeleine de Proust c’était sa fabuleuse sauce tomate bien mijotée… la meilleure au monde… ou bien encore les graines de couscous qu’elle préparait pour le repas dominical en famille. J’appelle ça le « confort gustatif », à l’image d’une couette dans un lit bien chaud que l’on quitte à regret…
Entre votre maman et vous, laquelle de vous deux est la plus gourmande ?
C’est ma mère ! Elle goûte tout ! Moi je goûte les recettes dans ma tête. Avec mes problèmes de santé, je ne pouvais pas m’amuser à tout goûter au risque d’être très malade. J’ai appris à regarder, à sentir et ressentir les plats… Je me contente d’aller au-dessus des gamelles qui mijotent sur le fourneau juste pour les apprécier. J’y prends autant de plaisir que de les manger.
De la médecine à la cuisine pour votre maman, de la chimie à la cuisine pour vous… toutes deux ne vous prédestiniez pas à forcément à la gastronomie… Quel a été le déclic ?
Comme je l’ai déjà dit, La cuisine chez nous est une histoire d’amour. Ma mère est venue à la cuisine par amour pour mon père. Après l’avoir épousé, elle est entrée dans sa famille qui l’a initiée aux métiers de la restauration. De mon côté, c’est ma problématique personnelle qui m’y a amené. Enfant, la table était mon cauchemar à cause de profonds problèmes d’alimentation. La maladie m’a apporté beaucoup d’espoir et de positivisme. J’en ai fait une force. Je vis très bien ce que je fais. Je suis passée de la chimie, qui me passionne toujours, à la « cuisine libre ». Je libère mes contraintes pour libérer ma créativité !
Chez vous la transmission est de mise : belle-mère, belle-fille, mère, fille, grand-mère, petite-fille… peut-on parler de cuisine des femmes Sammut ?
On peut effectivement parler d’une cuisine des femmes Sammut. On a une signature emprunte de la cuisine méditerranéenne de ma grand-mère. Elle existe au travers de tout : le goût, la force etc. Epaulées par les hommes de la famille, chacune apporte la pierre à l’édifice. Aujourd’hui ce sont mes petites nièces qui sont tout le temps en cuisine…
En migrant vers une cuisine sans gluten, vous n’avez pas choisi la facilité. Cela demande un travail considérable. Quels sont vos produits de prédilection ?
Le riz, la farine de riz et le pois chiche ! D’une manière générale tout ce qui touche au terroir ! Je suis dans une recherche permanente de produits non allergènes. J’ai appris à travailler toutes les graines pour ne plus être malade. Comme ma grand-mère je fais du couscous, mais avec de la semoule de cactus issue de graines qui se trouvent à l’intérieur du fruit du cactus, la figue de barbarie au Maroc. Je suis fière de cuisiner différemment, que ce soit au niveau des techniques ou des produits découverts dans le monde entier.
Citez-nous un produit que vous n’aimez pas et que vous n’avez jamais cuisiné…
Le beurre en raison de mon intolérance au lactose…
Comment se passe les changements de carte ? Travaillez-vous en binôme sur les nouvelles créations ?
On compose la carte ensemble. Il y a toujours sur la carte des plats phares de maman qui sont les repères des clients, comme le carpaccio de Saint-Pierre à l’huile d’olive et à la vanille de Madagascar. J’aime les faire évoluer, les agrémenter avec des nouveaux accompagnements, par exemple avec des légumes issus de la permaculture. Sinon je m’occupe de toute la panification et de la pâtisserie.
Si demain je vous invite à déjeuner à la maison, quels sont les plats et/ou les desserts qui vous rendent heureux ?
Une bonne poularde rôtie avec un bon jus…. J’aime les choses simples à base de produits frais « bien élevés » ou « bien poussés »… j’aspire avant tout à me réunir autour d’une table chaleureuse et au lien humain qui s’y crée.
Quelle est votre actualité ?
Je travaille sur l’ouverture prochaine d’un laboratoire de boulangerie et pâtisserie. Comme tous nos projets, il s’agit de (re)sensibiliser les gens au goût du vrai. Nous allons écraser nous-mêmes nos farines et fabriquer sur place des produits sans gluten pour les hôteliers et les restaurateurs, notamment des recettes autour du petit déjeuner. Il y aussi la réouverture du bistrot « La Cour de Ferme » le 24 mars. Il propose une cuisine locale et méditerranéenne à base de produits de terroir.
Propos recueillis par Annie Mitault