On pourrait croire que Bruno Oger est né sous une bonne étoile… Chef pour les stars à ses heures, il se distingue surtout par la passion pour son métier et les bons choix qu’il a su faire au gré de ses rencontres professionnelles. Repéré à l’âge de 21 ans par Paul Bocuse et Georges Blanc, ce breton pure iode a pourtant posé ses valises dans le sud de la France, dans une bastide du 18ème à 10 minutes de la Croisette, pour montrer toute l’étendue de son talent. Entretien avec Bruno Oger, chef propriétaire de la Villa Archange, fleuron de la gastronomie azuréenne et labéllisée « Table de Prestige » chez Tables & Auberges de France :
Racontez-nous votre plus ancien souvenir gustatif…
L’andouille de Guémené et les plateaux de fruits de mer en Bretagne où je suis né. Je suis un inconditionnel des produits de la mer, des huitres, des langoustines… La gastronomie nous procure une mémoire gustative et du plaisir. Je me rappelle la première fois où je suis allé dans un restaurant gastronomique. Avec mon épouse, nous mettions 5 francs de côté tous les mois. Nous avons ensuite cassé notre tirelire pour un repas chez Olivier Roellinger à Cancale. Je me souviens encore de son « Saint-Pierre retour des îles »…
Comment est née votre envie de faire ce métier ?
Mes parents étaient restaurateurs. Ils tenaient une brasserie à Lorient. J’ai baigné dedans. C’était la continuité des choses. Enfant, j’hésitais pourtant entre 2 métiers : cuisinier ou paysan…Très vite j’ai opté pour la cuisine pour le plaisir du « bien manger » et le goût des bons produits. J’ai grandi avec les fruits de mer, les crustacés et les crêpes. A partir de l’âge de 12 ans, je me suis concentré sur mon objectif de carrière.
Justement, à 12 ans, vous rêviez de travailler dans un 3 étoiles du Guide Michelin… Rêvez-vous aujourd’hui d’une troisième étoile pour la Villa Archange? Avez-vous d’autres rêves professionnels?
Je n’ai pas d’autres rêves que celui-là. Çà fait 30 ans que j’en rêve, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, depuis que j’ai commencé ce métier. J’espère un jour obtenir cette troisième étoile, véritable moteur de création et de motivation. Je fais tout pour. Je garde toujours dans un coin de ma tête cette phrase de Georges Blanc : « les étoiles sont toujours plus belles quand elles sont à soi chez soi… ».
Quand on la chance unique de décrocher un entretien le même jour entre Georges Blanc et Paul Bocuse… que ressent-on à ce moment là? Vous rappelez vous de la date exacte de cette journée exceptionnelle? Comment s’est fait votre choix?
C’était le 11 décembre 1986… Je ne suis pas prêt de l’oublier puisque c’est également le jour d’anniversaire de mon épouse… J’avais 21 ans et je travaillais à l’époque au Château de Locguénolé en Bretagne. Le chef m’avait obtenu les deux rendez-vous le même jour. Le matin j’ai rencontré Monsieur Paul à Lyon, une personne extrêmement gentille. Imaginez mon émerveillement et mon intimidation alors que je me trouvais dans le temple de la gastronomie française. A 15 heures je me suis entretenu avec Georges Blanc que j’admirais beaucoup. Dans mes bagages j’avais mon premier livre de cuisine « La Nature dans l’Assiette » de ce grand chef, offert par mon épouse. A l’époque il y avait 2 ans d’attente pour obtenir une place chez lui… J’étais prêt à tout pour travailler avec lui, y compris travailler sans salaire pendant 6 mois pour faire mes preuves. L’entretien d’embauche s’est terminé par « Je t’engage ! ». Le choix s’est fait tout naturellement… J’ai toujours fait les choses avec passion. Quand il y a la passion, il n’y a pas de sacrifice…
Peut-on dire que Georges Blanc est votre mentor?
Absolument ! C’est presque une filiation familiale… C’est un personnage attachant. On s’appelle tous les 10 jours. C’est avec lui que j’ai réalisé mon rêve d’enfant (travailler dans un 3 étoiles). J’ai eu la chance de travailler 7 ans à ses côtés, d’abord dans son prestigieux restaurant de Vonnas puis dans l’un de ses restaurants à Bangkok. Ce parcours exceptionnel a laissé place à une belle amitié, une magnifique complicité… On peut dire que je porte la « marque » Georges Blanc !
Comment attirer votre attention lorsque que l’on est un jeune passionné de cuisine et désireux d’apprendre ce métier à vos côtés?
Les jeunes qui sortent des écoles hôtelières savent faire des choses. Ce sont des techniciens. Ce qui est important à mes yeux, c’est le savoir être ! Etre poli, être capable de s’intégrer dans une équipe. Nous sommes une maison traditionnelle, nous racontons une histoire… j’attends d’un jeune qu’il s’approprie l’histoire de cette maison… ensuite il ne faut pas franchir les étapes trop rapidement, il faut être patient pour construire sa carrière.
Comment qualifier votre cuisine?
C’est une cuisine technique de beaux produits. Elle correspond à une gastronomie 2 étoiles.
Comment sélectionnez-vous vos producteurs locaux ou fournisseurs?
Dans une maison comme la nôtre, on doit être capable d’offrir le meilleur à nos clients. Avec seulement 26 fauteuils dans notre restaurant gastronomique, je veux ce qu’il y a de plus beau et de plus luxueux. Je travaille des produits d’exception : homard, caviar, dorade royale, loup, asperges, fraise des bois etc. Je sélectionne mes produits selon leur qualité, jamais par le prix ! Bien sûr nous travaillons avec des producteurs locaux qui viennent nous livrer des légumes répondant à nos besoins et nos demandes « sur mesure ».
Citez nous un produit que vous n’aimez pas et que vous n’avez jamais cuisiné
La betterave ! Trop puissante en goût et en couleur, je ne l’aime pas et ne la cuisine jamais !
Si demain je vous invite à déjeuner à la maison, quels sont les plats qui vous rendent heureux?
Préparez-moi une côte de bœuf grillée au barbecue, servie bleue avec un gratin dauphinois et une salade de mâche, je serai le plus heureux des hommes…
Citez-nous votre accord fromage/vin préféré
J’apprécie tout particulièrement de déguster un Comté avec un bon verre de Maconnais, cela me rappelle de bons souvenirs… A noter que nous ne proposons pas de plateau de fromages à la Villa Archange. Je pars du principe qu’une maison comme la notre doit faire preuve de créativité et offrir à sa clientèle un fromage cuisiné. Je le considère comme un plat de la carte à part entière. Ainsi, en fonction des saisons, nos clients trouveront par exemple un « Reblochon chaud au Chablis à la truffe », une « petite fougasse rhubarbe au velouté de brebis » ou encore une « gougère de chèvre frais de la Ferme Chevenet ».
Quelle est votre actualité?
Je suis un chef propriétaire avec une belle équipe de 40 personnes. Mon objectif principal est de rendre mon entreprise pérenne. La sortie du Guide Michelin le 1er février est donc importante. Je partage également une histoire privilégiée avec le Festival de Cannes qui rythme ma vie depuis 12 ans. Avec mon équipe, nous réalisons les plus grands dîners officiels (jusqu’à 700 personnes) de cet évènement qui provoque de l’effervescence dans toute la région. Cette année encore, nous allons œuvrer dans les coulisses pour notre plus grand plaisir. C’est un moment magique pour mes collaborateurs qui sont proches des artistes et des personnalités venus du monde entier à ce moment de l’année…
Propos recueillis par Annie Mitault