Il est des instants où l’on se sent privilégié de rencontrer des professionnels de la gastronomie hors du commun, capables de nous donner une leçon… Une leçon de goût et d’humilité. Loin des clichés des chefs mondains, Nicolas Gautier revendique SA cuisine, une cuisine locale, celle du nord qui émoustille les papilles par son amertume mais réchauffe les cœurs par sa générosité. Ne comptez pas sur lui pour trouver des plats « signature » sur sa carte. Sa cuisine change, murie, évolue au gré de ses rencontres et de son humeur… Son leitmotiv ? Donner le sourire à ses clients, et ce, 365 jours par an qu’il vente, qu’il neige ou que l’actualité ne soit pas au beau fixe. Nicolas Gautier aime surprendre, quitte à changer la commande de votre dessert sans vous le dire, pour toujours plus vous étonner et vous emmener hors des sentiers battus… Entretien avec le chef du restaurant La Laiterie, labéllisé « Table de Prestige » chez Tables & Auberges de France et créateur de l’appli « Baladovore »
A l’image d’Obélix tombé dans le chaudron de potion magique, vous affirmez être né dans les casseroles… racontez-nous…
Obélix était même un petit joueur à côté de moi… je suis presque né dans le restaurant de mes parents, le Relais Saint-Sébastien dans l’Aisne. Nous vivions juste au-dessus. J’ai passé 90% de mon temps dans la cuisine de mon père jusqu’à l’âge de 15 ans. Mon envie de faire ce métier s’est concrétisée tout naturellement lorsqu’il a fallu effectuer un stage en fin d’année de 3ème au collège. Comme j’étais attiré à mon tour par le métier de cuisinier, mes parents (pas forcément ravis au départ !) m’ont fait découvrir les différentes facettes de la restauration. J’ai donc effectué trois stages, l’un dans une cantine, un autre dans une pizzeria et le dernier dans un restaurant étoilé. C’est bien sûr la restauration traditionnelle qui m’a plu… J’ai passé mon CAP de cuisine au Château de Fere en Tardenois avant de rejoindre le Bristol à Paris avec Michel Del Burgo pendant 1 an. Comme je n’étais pas un grand fan de la vie parisienne, je suis retourné dans l’Aisne dans un petit restaurant familial « L’Avenue » où j’ai passé le BEP de serveur en candidat libre. L’occasion d’apprendre toutes les techniques de salle (découpage, flambage etc.). Entre temps j’ai rencontré mon épouse avec laquelle je suis parti travailler 2 ans à Genève pour le groupe hôtelier Moevempick. Mon père étant souffrant, je suis revenu à ses côtés avant de racheter le restaurant familial. N’étant pas de nature routinière, je suis parti occupé une place de chef au Château d’Esclimont 5 ans après. J’y suis resté pendant 2 ans. Toutes ces expériences et les différentes rencontres que j’ai pu faire au fil des années m’ont conduit à la Laiterie en 2013 où j’ai la chance de travailler les produits des Hauts de France, une région dont je suis tombé amoureux.
Parmi vos mentors, il y a votre papa Roger…
Oui ! Il m’a montré ce qu’était la vraie cuisine. Il m’a enseigné les bases de la cuisine traditionnelle. Bien sûr d’autres chefs m’ont marqué comme Michel Del Burgo ou Dominique Quay mon maitre d’apprentissage, un champion du poisson. Il m’a appris tout appris des produits de la mer. Il y a aussi ceux que je ne connais pas mais qui m’inspirent… Je suis admiratif de leur histoire ou de leur parcours professionnel à l’image de la famille Bras (père et fils) ou bien encore Régis Marcon et les champignons etc. Il y en a plein d’autres… J’observe, j’écoute, je regarde et je crée à partir de tout çà….
Quel est votre plus ancien souvenir gustatif ?
J’en ai plusieurs mais la sole meunière cuisinée par mon père reste l’un des meilleurs plats que j’ai pu goûter !
Comment qualifier la cuisine de la Laiterie ?
C’est ma cuisine c’est tout ! C’est une cuisine sincère. Une cuisine locale qui me ressemble, qui a du caractère et du goût. J’ai horreur des plats « signature » ! Pas question de s’enfermer dans un style de cuisine, j’estime qu’on apprend toute sa vie. Bien sûr j’aime certains produits plus que d’autres, comme les champignons, les asperges vertes ou encore le turbotin, mais je ne me bloque pas. J’ouvre ma cuisine à toute sorte de saveurs.
Vous êtes très attaché au travail d’équipe…
Si la cuisine raconte une histoire très personnelle, j’estime que le travail ne se fait pas tout seul. Je donne les bases et le tempo mais j’avance avec ma brigade… On travaille en étroite collaboration et les membres de mon équipe sont les premiers consultés quant au choix des plats. Le client vient à la Laiterie pour vivre un moment unique. Ce moment résulte d’une combinaison entre la cuisine, la salle, la pâtisserie, la sommellerie… un plat est bon tout seul mais quand il est en accord avec un dessert, un vin, une bière… le tout associé à un bon service… l’ensemble est magique ! La transmission fait partie de notre métier. Elle est indispensable. La moyenne d’âge de ma brigade tourne autour de 23 ans. J’aime partager avec eux mes goûts, mon histoire. Ma plus belle des récompenses ? Quand ceux qui ont travaillé avec moi me recontactent pour me remercier de ce qu’ils ont appris à mes côtés.
Citez-nous un produit que vous n’aimez pas et que vous n’avez jamais cuisiné
L’olive ! Je déteste les olives et pourtant j’adore l’huile d’olives…Ce n’est pas toujours facile avec une épouse d’origine portugaise…
Vous êtes le créateur de l’application « Baladovore ». Parlez-nous de vos relations avec les producteurs locaux. Comment les sélectionnez-vous ?
Je suis un inconditionnel de mon terroir celui des Hauts de France. Je travaille des produits 100% local. Les 6 premiers mois qui ont suivi mon arrivée à la Laiterie, j’ai consacré plusieurs après-midi par semaine pour découvrir les producteurs de la région. Maintenant je vais les voir 1 ou 2 fois par mois, particulièrement lorsque j’ai un coup de mou culinairement parlant. J’aime les rencontrer sur leurs terres ou dans leurs champs ; rencontrer leurs familles, échanger avec eux… Ils me connaissent, ils savent ce que j’aime. Avec eux, l’inspiration revient… Certains viennent me voir au restaurant ou me téléphone, je privilégie le contact avec eux et je travaille avec eux. Ensemble on évolue et on avance. Par exemple tous mes fromages proviennent de la même ferme. Nous avons pris le temps de faire des tests et de travailler l’affinage ensemble pour parvenir aux fromages que nous servons aujourd’hui au restaurant. Il est de notre responsabilité de valoriser le travail de ces artisans de la terre. Baladovore est la concrétisation de cette démarche. C’est une application gratuite qui permet de géolocaliser les meilleurs producteurs de chaque région française (fromages, charcuteries, vins etc.). Tous sont recommandés par des chefs. Aujourd’hui, l’application regroupe 150 Chefs et 1500 producteurs à travers la France et l’Europe.
Citez-nous votre accord fromage/vin préféré
Je n’aime pas les choses figées. Un jour je vais avoir envie d’un fromage et le lendemain d’un autre complétement différent. Aujourd’hui je vais vous répondre un Maroille accompagné d’un Mercurey… demain je vous donnerai une autre réponse…
Quelle est votre actualité ?
Continuer à faire évoluer la Laiterie… que les clients quittent le restaurant avec le sourire… J’ai également un projet qui me tient à cœur. Nous allons ouvrir un estaminet à côté du restaurant où je proposerai la cuisine de mon père.
Si demain je vous invite à déjeuner à la maison, quels sont les plats qui vous rendent heureux ?
Une tartiflette avec un bon verre de rouge ! Ou mieux la mariflette ! Une autre version de la tartiflette à base de Maroille. Ce qui me plait avant tout c’est le partage. Peu importe ce que l’on mange, la cuisine est un moyen de rassembler !
Propos recueillis par Annie Mitault