Si les murs de son restaurant pouvaient parler, ils en auraient des choses à raconter… En reprenant les commandes de la Mère Brazier en 2008, le chef Mathieu Viannay a donné une suite à l’histoire. Celle d’une table légendaire qui a vu passé bon nombre de personnalités épicuriennes. Aujourd’hui, c’est non sans un certain classicisme qu’il revisite les recettes d’autrefois et sublime les produits de saison, le tout en parfaite adéquation avec l’âme de la maison. Rencontre avec Mathieu Viannay labélisé Table de Prestige.
Votre actualité, c’est l’ouverture de l’Epicerie Comptoir Mère Brazier depuis le 24 décembre. Est-ce la continuité de votre passion pour la gastronomie et les bons produits ?
C’est beaucoup plus qu’une épicerie. C’est un concept dédié à la nourriture et au bon goût ! Il s’agit de partager avec nos clients, et ce, tous les jours, nos produits, nos fabrications, nos fournisseurs… On y trouve une boulangerie traditionnelle (pains au levain, viennoiseries maison pur beurre), une épicerie fine, de la charcuterie maison (spécialité de pâté en croûte), des fromages affinés, ainsi qu’une sélection de vins, champagnes et spiritueux. Egalement un espace snacking pour déguster des mets préparés sur place (planches charcuterie/fromages, salades etc.).
Justement vous êtes très attaché aux producteurs de la région Rhône Alpes. Pouvez-vous nous en citer quelques-uns ?
Je travaille avec beaucoup de petits producteurs locaux. Je leur suis fidèle, à l’image de ma relation avec la « Mère Richard » où je me fournis en fromages depuis 25 ans. C’est important d’avoir un véritable échange, d’aller les voir et qu’ils viennent aussi nous rendre visite en cuisine. La Maison Miéral pour les volailles de Bresse, les maisons Barnas, Bail et les Halles Trottemant pour les primeurs… sans oublier les vignerons que j’affectionne particulièrement.
Racontez-nous votre plus ancien souvenir gustatif…
A l’âge de 2 ans, mon père m’a fait goûter de l’andouille… mais de la véritable andouille… celle que l’on cuit dans le foin. Je me souviens encore de son goût qui était très fort…
Votre vocation pour la cuisine fût tardive… Auriez-vous pu faire un autre métier ?
Comme beaucoup de jeunes maintenant, j’ai suivi une filière générale avant d’apprendre la cuisine. L’un n’empêche pas l’autre bien au contraire… la formation intellectuelle permet de mieux travailler avec ses mains. Un restaurant est une entreprise précaire. Çà ne s’improvise pas. On peut être un excellent cuisinier et un mauvais restaurateur. J’aurais pu aussi être vigneron ou œnologue, je suis d’ailleurs diplômé en œnologie. C’est un secteur professionnel que j’affectionne. A la Mère Brazier, notre sommelier Denis Verneau est Meilleur Ouvrier de France et nous proposons pas moins de 1000 références de vins.
Reprendre une institution comme la Mère Brazier en 2008 était un sacré défi. Comment parvenez-vous à innover en cuisine tout en conservant cet héritage culinaire ? Comment qualifier votre cuisine ?
Je suis rentré à la Mère Brazier tranquillement. J’ai observé et j’ai réfléchi. Puis je me suis affranchi de tout çà. C’est devenu une évidence. Il y a toujours certaines spécialités que je cuisine à ma façon. Je ne me force pas. Je qualifie souvent ma cuisine de classique contemporaine…. Celle qui met en valeur les produits et les producteurs… la vraie cuisine, la bonne !
Peut-on considérer que Eugénie Brazier fait partie de vos mentors ?
La Mère Brazier est l’un de mes mentors par procuration ! J’ai également travaillé avec Jean-Pierre Vigato et Henri Faugeron qui m’ont marqué par leurs cuisines « abouties ». Aujourd’hui je réfléchis à être toujours dans le vrai. Il faut que çà me plaise. Pas question de suivre les effets de mode et de faire une cuisine qui ne me correspond pas. Une cuisine doit transpirer ce que vous aimez !
Quels sont les plats dont vous êtes le plus fier ? Des plats « signature » ?
J’ai horreur de tous ces termes… d’ailleurs je ne connais pas beaucoup de chefs qui peuvent se targuer d’avoir inventé un plat ! On construit un plat. Il reflète un moment, une émotion, un endroit, un voyage… Par contre je suis très fier d’avoir à ma carte des plats généreux comme la « Sole de Petit Bateau Farcie aux Algues et Coquillages, Beurre au Caviar », le « Chou Farci de Gibier à Plumes et Foie Gras » ou encore la « Poulette de Bresse Demi-Deuil ».
Citez-nous un produit que vous n’aimez pas et que vous n’avez jamais cuisiné…
Le melon ! çà me retourne le cœur !
Eugénie Brazier fût la première femme chef triplement étoilée en France. Accordez-vous de l’importance à la parité dans votre équipe ?
Effectivement une présence féminine est très importante dans notre métier. Cela apporte un peu de douceur dans un monde de brut. Les gens ne se parlent pas de la même façon. Notre équipe compte actuellement 4 femmes en cuisine, pâtisserie, sommellerie… çà permet d’apaiser une cuisine.
Au fil du temps, vous devenez à votre tour un modèle pour de nombreux jeunes. Accordez-vous de l’importance à la transmission ?
Bien sûr nous accueillons des apprentis et des stagiaires. Certains viennent de l’Institut Bocuse ou de l’Ecole Ferrandi. J’aime suivre ce qu’ils deviennent après leur passage à la Mère Brazier. Ils reviennent aussi nous voir. Certains d’entre eux ont ouvert des restaurants ou des bistrots.
Chez Tables & Auberges de France, nous sommes adeptes des restaurants traditionnels et populaires. Avez-vous une ou deux adresses de bouchons lyonnais à nous recommander ?
J’aime aller chez les copains qui ont des bouchons lyonnais, à l’image de Daniel et Denise Saint-Jean chez Joseph Viola dans le Vieux Lyon. J’aspire aussi découvrir de nouvelles adresses, des jeunes qui viennent d’ouvrir leurs restaurants. Je vais aussi souvent dans les restaurants chinois…
Bientôt se tiendra le SIRHA… Allez-vous participer à ce grand rendez-vous mondial de la gastronomie, notamment avec les Toques Blanches Lyonnaises dont vous faites partie ?
Le SIRHA est un temps fort de notre profession. Je participe à de nombreuses animations, notamment aux côtés des Toques Blanches Lyonnaises. Je participe à la Grande Tablée de la Biennale Internationale du Goût (BIG) sous le Tunnel du Goût. Ce ne sont pas moins de 50 chefs qui vont concocter leurs meilleures recettes pour 3400 convives.
Si demain je vous invite à déjeuner à la maison, quels sont les plats qui vous rendent heureux ?
Un poulet rôti ! Si possible de Bresse… Dans tous les cas un poulet de ferme qui a couru et mangé des cailloux !
Propos reccueillis par Annie Mitault