Si d’ordinaire ce sont les chefs qui se déclarent chanceux de travailler avec les meilleurs produits, on peut dire que les produits du Vercors ont tout à gagner à passer entre les mains de Christophe Aribert, chef des Terrasses d’Uriage à Uriage-les-Bains dans l’Isère (labélisé Table de Prestige). De la carte du restaurant à l’assiette, ils sont à l’honneur, et ce, sans aucune fioriture. Et l’histoire ne s’arrête pas là… Ce grand chef touche-à-tout a à cœur de laisser une empreinte de sa cuisine et de partager son savoir-faire dans tout ce qu’il entreprend. Nous vous invitons à entrer dans l’univers de ce passionné amoureux des montagnes.
Vous avez baigné toute votre enfance dans la cuisine et les métiers de bouche. Racontez-nous votre plus ancien souvenir gustatif…
Le cake aux fruits confits de ma maman ! Je devais avoir 5 ou 6 ans… Impossible de le refaire à l’identique. Je n’ai jamais réussi à retrouver le goût de ce cake de mon enfance. Sans doute parce que les ingrédients ont évolué (comme les farines par exemple), mais également en raison de l’émotion et de la part d’affectif liés à ce souvenir…
Comment est née cette envie de passer à votre tour derrière les fourneaux ? Auriez-vous pu faire un autre métier ?
Je ne voulais pas spécialement être cuisinier. J’aurais pu faire plein d’autres choses comme la pratique du sport en montagne qui me passionne. J’y suis venu un peu par hasard. J’étais plus ou moins en train de me faire virer de l’école… et pour éviter les sanctions à la maison j’ai fait ce choix d’orientation professionnelle. C’est en commençant à travailler que j’ai appris à aimer ce métier. Aujourd’hui c’est l’engagement de toute une vie !
Qui sont les chefs ou autres personnalités qui ont influencé votre façon de cuisiner et d’appréhender ce métier ?
Les univers marqués des grands chefs m’ont toujours intéressé. Ainsi, je garde le souvenir d’un repas très chic chez Pierre Gagnaire à Saint-Etienne avant l’obtention de sa troisième étoile. J’ai découvert que l’on pouvait se construire une identité forte à travers un métier. J’avais 19 ans à l’époque et il a beaucoup influencé ma décision. Egalement Jacques Pic que j’ai découvert lors d’un repas de famille à Valence. J’ai appris à travailler dans de grandes maisons où l’on m’a enseigné les techniques et les bases de la cuisine, la connaissance des produits… mais j’ai très vite voulu construire mon propre univers culinaire. Mon amour des montagnes a aussi des répercussions sur ma façon de travailler. J’ai adopté la devise des montagnards « sortir par le haut », c’est-à-dire ne jamais « desescalader ». Même en situation d’échec on se doit de toujours finir les choses par le haut. Il faut savoir se remettre en cause et recommencer jusqu’à la perfection.
Vous êtes un chef un peu « touche-à-tout » : livres de cuisine, cours de cuisine, photographie culinaire, sports de montagne etc. Pensez-vous que le métier de cuisinier a évolué et que sortir de sa cuisine est indispensable ?
Absolument ! Tout ce qui a attrait à notre métier est indispensable ! La photo, les livres et toutes les formes d’expression sont un moyen de « faire savoir » notre savoir-faire. Mon second livre « Aribert », élu meilleur livre gourmand par Le Figaro en 2013 a connu un joli succès. Il représente 3 ans de travail. Une période nécessaire pour partager tout ce que j’ai en tête. Une assiette est éphémère, une fois mangée il ne reste rien hormis dans l’esprit des gens. Les expressions, autres qu’une assiette, nous permettent de vivre notre passion autrement ; de transmettre en arrêtant le temps. C’est le moyen d’être présent et de marquer ce que l’on fait par une empreinte indélébile.
A la lecture de votre carte on perçoit une cuisine « au cœur du produit » : Homard, Foie Gras, Féra et Pintade… Comment la qualifier ?
Moins j’en mets dans le plat mieux je me porte ! J’ai la chance de travailler avec de magnifiques produits du Vercors. Ma cuisine est une cuisine épurée au service du produit. J’adopte la cuisson qui va lui conserver son goût au maximum. En fait je n’invente rien. Je suis un passeur. J’incarne la continuité d’une histoire, celle du produit et de ses racines.
Quels sont les plats dont vous êtes le plus fier ?
Les plats « signature » m’ennuient profondément. Dans ce métier on est toujours en phase de progression. Le plat qui m’intéresse est le prochain à venir. Se dépasser et arriver au résultat que l’on souhaite, c’est ma fierté. J’ai la chance d’avoir une équipe fantastique autour de moi. Nous sommes très proches et travaillons ensemble sur les créations. Ensuite le client valide… ou pas…
Les produits du Vercors et du Dauphiné sont à l’honneur sur votre carte. Comment sélectionnez-vous vos producteurs locaux ?
C’est un vrai plaisir de faire mes achats sur le marché. D’aller voir, au minimum une fois par semaine, les légumes et autres produits locaux sur les étals au gré des saisons. Je prends le temps de discuter avec les producteurs qui me parlent des produits à venir ou qui se terminent. Bien sûr je vais aussi les voir dans leurs champs mais je n’exige jamais de cultures spécifiques à ma cuisine. C’est moi qui m’adapte à leurs productions.
Citez-nous un produit que vous n’aimez pas et que vous n’avez jamais cuisiné…
Il n’y a rien que je déteste vraiment. Je ne suis pas fan des huitres mais j’adore les accommoder. Les goûts changent et évoluent, l’humain est fait comme çà !
Chez Tables & Auberges de France, nous sommes adeptes de nouvelles adresses gourmandes. Avez-vous une ou plusieurs bonnes tables à nous recommander ?
J’adore aller manger au restaurant Palégrié à l’Hôtel du Golf à Corrençon-en-Vercors. Le chef Guillaume Monjuré est très talentueux et a un bel avenir devant lui.
Comment attirer votre attention lorsque que l’on est un jeune passionné de cuisine et désireux d’apprendre ce métier à vos côtés ?
J’aime faire progresser les jeunes, les accompagner et les former. J’avoue avoir une préférence pour les autodidactes qui commencent la cuisine. Ceux qui ont vraiment envie et qui vont s’investir à 100%, plutôt que ceux qui présentent un long cv mais qui n’évolueront pas. Aux Terrasses d’Uriage, la parité entre hommes et femmes a son importance. Les femmes apportent une énergie intéressante et une belle sensibilité au sein des équipes.
Si demain je vous invite à déjeuner à la maison, quels sont les plats qui vous rendent heureux ?
Ce que vous aimez faire. Une recette facile et surtout qui vous plait. Je suis bon public et j’adore manger quand c’est juste bon… Cela peut être une omelette comme de simples pâtes cuites « al dente » avec une sauce tomate, du basilic et un peu de parmesan…
Quelle est votre actualité ?
J’ai plusieurs idées en tête. Construire le projet d’un 3ème livre de cuisine, réorganiser le restaurant (voire le déplacer…) ; continuer à progresser à travers les échanges et les partenariats… Je dois aussi me rendre à la coupe du monde de ski pour participer à un repas évènement organisé par les skis Rossignol. La montagne est mon univers parallèle ; je skiais avant de marcher… ici lorsque nous étions enfants, le club de ski était en quelque sorte notre square. Ce métier est tellement dur. Je m’impose de prendre du temps pour skier, marcher et randonner dans la montagne.
Propos recueillis par Annie Mitault
Crédit photos : Anne-Emmanuelle THION, Benoit Linéro